Résumé
La complexité du comportement mécanique des polymères relève principalement de deux aspects. D'une part, à l'échelle moléculaire, les mouvements sont fortement thermo-activés et présentent des coopérativités à échelles variables difficiles à modéliser. De plus, un polymère amorphe en dessous de sa température de transition vitreuse (Tg) se trouve hors équilibre thermodynamique. L'impossibilité de reptation, ou diffusion des macromolécules, en dessous de Tg se traduit par une limite élongationnelle. Dans ce cas, des mécanismes d'endommagement et rupture apparaissent. Leurs apparitions peuvent parfois être modélisées à l'aide du formalisme d'Eyring. L'énergie et le volume d'activation d'un mécanisme, issus de ce formalisme, rendent compte de la nature et de l'étendue des mouvements coopératifs qui lui sont associés. L'approche par la mécanique des milieux continus peut convenir à la description phénoménologique du comportement mécanique mais l'analyse du comportement en relation avec les paramètres physico-chimiques du polymère n'est pas de son ressort. D'autre part, à l'échelle de la microstructure, lorsque le polymère est multiphasé, les morphologies sont diverses et le comportement des phases est souvent mal connu. En effet, le confinement des polymères aux interfaces peut modifier le comportement des constituants par action physico-chimique. Une modification efficace et rapide des propriétés mécaniques nécessite de pouvoir identifier les contributions d'ordre physico-chimique de celles d'ordre mécanique. L'approche par la mécanique des milieux continus a pour buts de permettre de formaliser la loi de mélange pour les propriétés mécaniques ou de quantifier les valeurs locales des champs de sollicitation mécaniques.
Mes recherches sont centrées sur le renfort au choc des polymères par des nodules d'élastomère. La compréhension des mécanismes d'endommagement et de rupture des polymères renforcés présente un enjeu considérable pour l'élaboration de nouveaux matériaux. Dans un premier temps, afin de s'affranchir des effets de gradient des champs mécaniques, l'étude de l'endommagement a fait l'objet de sollicitations uniformes et dissociée des considérations de fissuration. De nombreuses et importantes informations ont pu être collectées sous ce mode de déformation et la compréhension du mécanisme de cavitation a pu progresser. Quoique de nombreux éléments concernant la cavitation dans les élastomères soient encore sujet à controverses, une modélisation du mécanisme de cavitation dans les polymères choc a pu être proposée. Par ailleurs, il se dégage des résultats récents que la cavitation joue plus pleinement son rôle "plastifiant" sous un état de contrainte triaxial du type de ceux rencontrés en sommet de fissure. Malheureusement, à la complexité des gradients de champs liés à la rupture viennent souvent s'ajouter des effets inertiels car un frein au développement des polymères choc réside dans la fragilité persistante aux hautes vitesses de sollicitations. La mise au point d'outils de calcul des interactions mécaniques entre les nodules d'élastomère, la compétition entre cavitation et plasticité et la mise au point de moyens de mesure et d'analyse spécifiques en rupture dynamique constituent des points de passage obligé pour l'amélioration de la compréhension des mécanismes de renforcement de la ténacité et de la ductilité.
L'endommagement du PMMA choc a été étudié sur le plan expérimental et de la modélisation. Une modélisation du mécanisme de cavitation dans des inclusions sphériques d'élastomères a notamment permis d'expliquer la sensibilité du mécanisme à la taille des domaines d'élastomère. Il est apparu que le niveau de contrainte hydrostatique était un facteur clef du déclenchement de la cavitation. Les couplages entre la forme des domaines d'élastomère et l'écoulement plastique dans la matrice avec le niveau de contrainte hydrostatique ont donc été explorés. On montre que, d'une part, les domaines allongés dans la direction perpendiculaire à la plus grande contrainte principale subissent la plus forte dépression hydrostatique et que, d'autre part, la trace du tenseur des contraintes macroscopiques est la variable pertinente à relier à la dépression hydrostatique dans l'élastomère. Il semble que la cavitation n'influence qu'au deuxième ordre la ductilité en ce qui concerne la traction uniaxiale et la poursuite des études avec des sollicitations triaxiales, typiques de celles rencontrées en sommets de fissures, fourniront certainement des résultats intéressants.
Le passage en revue suivant des principaux modèles de cavitation met en évidence que la mécanique des milieux continus ne peut pas résoudre, à elle seule, le problème de la genèse d'une cavité dans les élastomères. Les outils de la simulation moléculaire ont beaucoup progressé récemment dans les domaines d'application des polymères. Cependant, il est encore difficile d'intégrer dans une même simulation l'analyse de conformation liée aux champs de forces et la dynamique moléculaire. Toutefois, la seule tentative, à notre connaissance, de modélisation de la cavitation par simulation moléculaire a montré la faisabilité d'une telle approche. Par conséquent, la prise en compte des facteurs de premier ordre concernant la cavitation constituera un des principaux sujets dans la discussion scientifique intercommunautaire. L'importance du rôle de la tension de surface lors de la cavitation a été soulevée à l'occasion d'un passage en revue des modèles de cavitation dans ce mémoire. L'obtention de relations entre les paramètres physico-chimiques du matériau et la propension à la cavitation constitue un objectif à moyen terme dans la continuité de l'étude de l'endommagement. La mécanique des milieux continus devrait permettre de fournir des conditions aux limites pour les modèles de simulations moléculaires qui reflètent convenablement la réalité et réduisent les coûts de calcul.
La connaissance de l'influence des interactions mécaniques entre particules d'élastomère constitue un élément capital pour l'avancement de la compréhension du comportement des polymères choc. D'une façon générale, l'analyse des mécanismes d'endommagement passe par la connaissance des tenseurs de localisation et ne se satisfait pas des modèles d'homogénéisation. Dans ce but, j'ai développé un outil de calcul spécifiquement adapté aux morphologies à hétérogénéités sphériques, couramment rencontrées dans les polymères. Dans un premier temps, un programme prototype pour le calcul des interactions mécaniques, basé sur la concomitance des déformations induites par des hétérogénéités, a permis de dégager des tendances relatives à la distribution des contraintes dans un milieu poreux. La formulation utilisée constituait une vision duale, en déformations, de la méthode de l'inclusion équivalente (MIE), qui correspond à une équivalence en contraintes. Ni l'une, ni l'autre ne sont mathématiquement fondées et seules, des quantifications proposées telles que, par exemple, les résidus de contraintes non équilibrés aux parois des pores permettent de valider les calculs. L'outil développé ensuite, basé sur la MIE a fournit les distributions du niveau de la dépression hydrostatique dans les particules d'élastomère. Il a ainsi pu être constaté que l'élasticité seule pouvait être responsable d'amas de particules endommagées aux faibles fractions volumiques. Ces amas sont susceptibles de former des pseudo-craquelures et ainsi de fragiliser le matériau. Il semble donc que la précédente conclusion relative à la forme des domaines se généralise aux domaines discontinus. Pour pallier à certains défauts de la MIE, une alternative à la méthode de l'inclusion équivalente sur la base des principes variationnels est suggérée.
Aux moyennes vitesses de déformation, la plupart des polymères présentent souvent leur meilleure ténacité. Lorsque les vitesses de déformation augmentent ou que la température devient très inférieure à la température de transition vitreuse, un comportement fragile réapparaît toujours. C'est en effet dans ces gammes de sollicitation que l'on recherche généralement les points faibles des polymères vis à vis de la rupture. La quantification de la perturbation de la sollicitation en sommet de fissure par des effets inertiels a fait l'objet de développements spécifiques. La mécanique élastique linéaire de la rupture (MELR) a pu être validée pour des propagations rapides de fissure dans des polymères amorphes. Nos études concernant la rupture du polycarbonate et du polyméthacrylate de méthyle (PMMA) pur et choc ont confirmé, s'il en était encore besoin, que la vitesse de propagation d'une fissure est un paramètre observable mais non contrôlable. D'autre part, un sommet de fissure peut être considéré comme un objet de masse nulle, c'est à dire sans inertie vis à vis de l'accélération. La rupture du PMMA choc présente des phénomènes particuliers. Une particularité est la dépendance à la contrainte dite "T" telle que le matériau peut restituer une sorte de courbe R inversée, c'est à dire que l'énergie de rupture peut diminuer avec la longueur d'entaille. Une autre particularité réside dans la diminution continue de l'énergie de rupture avec la vitesse de propagation de la fissure à l'approche de la vitesse des ondes de Rayleigh. Il est couramment admis qu'une fissure adapte sa vitesse à l'énergie consommable, c'est à dire au taux de restitution d'énergie. Le cas du PMMA choc est différent puisque l'énergie de rupture diminue dans la même gamme de vitesse. Il est apparu qu'un tel matériau ne pouvant adapter la vitesse du sommet de fissure aux taux de restitution d'énergie adapte la quantité totale de surface créée, par le biais de la rugosité de surface et des branchements "avortés". A la vitesse particulière que constitue la vitesse de branchement de fissure, que l'on observe généralement être de l'ordre de 0.6 fois la vitesse des ondes de Rayleigh dans les matériaux, il n'y a donc pas unicité de la valeur de l'énergie de rupture. Il reste à mesurer précisément les quantités de surface créées pour vérifier et valider complètement cette notion.
Dans le cadre de la micromécanique, il s'agit parfois de discerner les effets "de mélange" provenant de l'adjonction de particules peu déformables d'éventuelles actions physico-chimiques de type réticulant. La prédiction des propriétés mécaniques des caoutchoucs, élastomères et latex rigidifiés par des particules peu déformables nécessite de prendre en compte les non-linéarités de comportement couplées aux non-linéarités géométriques. La morphologie ordonnée d'un mélange latex-PMMA, ainsi que la quasi-incompressibilité de la matrice en latex ont permis d'aboutir à une modélisation relativement simple. Des calculs par éléments finis ont permis de valider les approximations du modèle. Dans la mesure où les modèles mécaniques prédictifs fournissaient des résultats en accord avec les observations expérimentales, on en déduit que la loi de comportement de la matrice n'est que peu ou pas modifiée par la présence d'interfaces. D'autre part, il paraissait probable que la cinématique envisagée pour les déformations locales, initialement identique autour de chaque inclusion, change au-delà d'un seuil de déformation. Cette transition de cinématique de déformation a en effet pu être confirmée expérimentalement et les ordres de grandeurs des seuils de transition sont correctement estimés par le modèle.
Les logiciels d'éléments finis disponibles aujourd'hui intègrent de nombreuses capacités et leur utilisation fut précieuse pour apporter des éléments de réponse relativement rapidement aux problèmes posés. Les procédures d'intégrations numériques se sont avérées être suffisamment robustes pour la plupart des études entreprises dans le cadre de la plasticité ou du régime dynamique transitoire. Les lois génériques disponibles facilitent l'exploration des tendances de comportement pour les calculs micromécaniques. Malheureusement le calcul des interactions mécaniques impliquant un grand nombre d'inclusions n'est pas encore accessible par des outils standards ce qui justifie le développement de méthodes spécifiques telles que la MIE. Avant de poursuivre l'étude des interactions mécaniques entre inclusions sphériques, à l'exception de la détermination du niveau de contrainte hydrostatique dans des particules d'élastomère, il convient d'affiner la méthode de calcul. Le cas du renfort par des billes de verre, par exemple, nécessite en effet une précision accrue sur le calcul des concentrations de contrainte. La mise en oeuvre d'une nouvelle méthode de calcul proposée dans ce mémoire devrait permettre d'aboutir à une méthode plus fondée et plus efficace que la MIE pour le calcul des interactions entre inclusions et ainsi de progresser encore dans l'analyse des mécanismes d'endommagement. L'extension de la MIE pour le calcul des interactions mécaniques en présence de non-linéarités de comportement de matrices ne semble pas être un choix judicieux et d'autres méthodes seront envisagées sur la base de développement en série de Fourier ou d'éléments finis, voire de la méthode des éléments de frontière. Il se dégage des résultats que la poursuite logique de l'étude de l'endommagement comportera l'étude de la cavitation sous sollicitations triaxiales. La finalité est de déterminer les principaux paramètres qui contrôlent la formation d'un macro-défaut dans le matériau. Pour ce faire, les conditions qui conduisent à la formation de craquelures pourront être analysées dans la mesure où l'on connaît à la fois les tenseurs de localisation et les critères de plasticité et de craquelage de la matrice. La transition, formation d'amas de cavitation diffuse, mise en évidence à l'aide de la MIE autorise à penser que la démarche entreprise doit être poursuivie.
L'étude du gradient d'endommagement en sommet de fissure pourra s'appuyer sur l'ensemble des informations collectées par la micromécanique. La modélisation de la zone de progrès d'une fissure est toujours un défi ambitieux, voire utopique pour certains matériaux. Non seulement elle fait appel au comportement ultime du matériau sous grandes transformations, non mesurable autrement qu'en rupture, mais elle est souvent du ressort de la thermomécanique. Le cas du chargement rapide pour l'étude de l'amorçage est certainement le plus complexe puisque les couplages thermomécaniques y sont les plus forts et la viscoélasticité et la viscoplasticité du polymère sont généralement difficiles à décrire dans ces gammes de vitesse de déformation. De plus les effets inertiels peuvent être importants sur le plan structural et rendre encore plus ardue l'extraction des informations expérimentales. Par conséquent, nous avons étudié les conditions de chargement qui mène à la frontière de la sollicitation quasi-statique pour des éprouvettes de rupture de type "Compact Tension". On peut considérer le cas de la propagation de fissure rapide plus simple car adiabatique mais il est tout de même associé à d'importants effets inertiels et éventuellement à des instabilités. Les résultats de simulations numériques dans le régime dynamique transitoire indiquent qu'il est vraisemblable que, hors de la zone de progrès, la connaissance des modules d'élasticité dynamiques suffisent pour les polymères testés. En effet, lorsque la position du sommet de fissure en fonction du temps est donnée par l'expérience, l'analyse par la MELR semble donner de bons résultats. Il faut tout de même remarquer que cette donnée expérimentale fournit implicitement au calcul élastique dynamique le comportement complexe du matériau dans la zone de progrès.
Le PMMA choc, par son comportement instable à l'approche de la vitesse des ondes de Rayleigh, s'est avéré être un matériau modèle, au-delà des seuls polymères, pour l'étude de la rupture dynamique en relation avec les faciès de rupture. Le développement d'un moyen de mesure précis de la quantité totale de surface créée par la rupture dynamique devrait permettre de valider les conclusions exposées dans ce mémoire relatives à la particularité de la vitesse de branchement macroscopique des fissures. Mais, bien que ce type de comportement fragile présente un intérêt certain pour les études des mécanismes de branchement et des rugosités de surface, il n'est pas souhaitable pour un matériau à usage structural. Pour mieux cerner les paramètres qui conduisent à cette fragilité intrinsèque, il est désormais loisible de chercher les matériaux dont l'évolution de la ténacité avec la vitesse de propagation est similaire et les conditions de températures correspondantes.